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« Suivez Hitler ! Il sera le danseur, mais c’est moi qui ai composé le ballet !

Je l’ai initié à la « Doctrine Secrète », j’ai ouvert ses centres de vision et je lui ai donné les moyens de communiquer avec les Puissances.

Ne me pleurez pas. J’aurai plus influencé l’Histoire que nul autre Allemand. »

 

Dietrich Eckart

 

« Les membres de la Société de Thulé furent les premiers vers qui Hitler se tourna et les premiers qui s’allièrent à lui. »

 

Rudolf von Sebottendorff

 

« La légende de Thulé est aussi ancienne que la race germanique. »

 

Louis Pauwels et Jacques Bergier

 

Comme prévu, Steve avait pris une chambre dans le même hôtel que Goldblatt et sa compagne. N’ayant pu en obtenir une au même étage, il avait passé la plus grande partie de son temps assis dans le hall de réception, à lire journaux et magazines en surveillant les ascenseurs et l’escalier. Ni Goldblatt ni la femme ne pourraient quitter l’hôtel sans qu’il s’en aperçoive. L’établissement était très fréquenté, par des hommes d’affaires en majorité, et le ballet de leurs allées et venues était incessant. Steve eut du mal à empêcher le quotidien de trembler entre ses mains quand les deux Israéliens émergèrent d’un ascenseur, accompagnés de près par trois hommes. Il se souvint avoir vu le trio entrer dans l’hôtel environ un quart d’heure auparavant. Il leur avait à peine accordé un regard car ils avaient tout d’hommes d’affaires en déplacement. Mais à présent, à cause de la nervosité visible des Israéliens et du groupe serré qu’ils formaient avec eux, ils prenaient une apparence beaucoup plus sinistre. Il les vit se séparer. Un des inconnus sortit avec la jeune femme tandis que les deux autres escortaient Goldblatt au comptoir de la réception. Steve l’entendit annoncer qu’il quittait l’hôtel et demander sa note. Il enverrait quelqu’un prendre ses bagages plus tard, assura-t-il.

Steve était surexcité. C’était là un vrai travail de détective, comme ceux dont on parlait dans les romans. A l’évidence, le danger planait dans l’air. Pas besoin d’être un super-détective pour s’en rendre compte, mais que devait-il faire à présent ? Il n’avait pas le temps de téléphoner au bureau ou chez Steadman, car les hommes allaient bientôt partir et il risquerait de les perdre. Il lui fallait agir, et vite. Sa Mini était garée dans le parking souterrain de l’hôtel ; s’il voulait les filer, il devait se préparer maintenant. Il replia le journal en se forçant à la nonchalance, se leva et sortit de l’hôtel. Il repéra immédiatement l’homme qui était parti avec l’Israélienne dans une Daimler grise garée de l’autre côté de la rue. Son inquiétude grimpa d’un cran : il espérait ne pas être semé par la puissance de la berline. Dès qu’il fut hors de leur vue il descendit en courant la rampe menant au garage de l’hôtel. Après avoir laissé tomber ses clefs dans sa fébrilité, il réussit à démarrer et la Mini atteignit la rue au moment où les deux autres hommes faisaient monter Goldblatt dans la Daimler. Ils gardaient une main dans la poche de leur pardessus et Steve comprit qu’ils devaient tenir une arme. L’affaire était vraiment sérieuse.

La berline se glissa dans la circulation et Steve la suivit à distance prudente. Le véhicule était facile à filer dans Londres mais, une fois dépassés les encombrements de la banlieue ouest, il accéléra notablement et Steve craignit plus d’une fois d’avoir été distancé. Par chance les feux de signalisation lui permirent toujours de rattraper sa proie.

Il poussa un soupir de soulagement quand la Daimler s’arrêta devant le portail de fer forgé. Il passa devant à vitesse moyenne et jeta un coup d’œil en direction des grilles qui s’ouvraient. Il eut le temps de voir un garde et deux bergers allemands. Il poursuivit jusqu’au virage suivant et prit un chemin forestier sur une vingtaine de mètres pour dissimuler la Mini. Puis il revint à pied se poster en face des grilles, à l’abri d’un arbre. La Daimler avait disparu et le portail était refermé. Comme il s’interrogeait sur la conduite à suivre les paroles de Sexton lui revinrent à l’esprit : « En cas de doute, attends de voir ce qui se passe. N’oublie jamais que tu es là pour observer l’action, pas pour y prendre part. »

Steve se résigna donc à patienter. Il consulta sa montre et nota sur son carnet un bref compte rendu des événements de la matinée. Il était plutôt content de lui, mais l’humidité froide de l’air et l’ennui modérèrent assez vite son enthousiasme. Il venait de décider qu’il était temps de trouver un pub pour manger un sandwich et boire une bière  – après tout, il avait aussi le droit de déjeuner  – quand un véhicule familier ralentit et tourna pour s’arrêter devant le portail. La Celica grise de Harry Steadman ! Steve faillit l’appeler, mais il s’accroupit derrière un buisson quand le garde apparut. Harry sortit de sa voiture et vint donner quelque chose à l’homme. La tentation d’attirer son attention reprit Steve quand il vit son patron attendre, assis contre le capot de sa voiture. Puis le garde revint et Steve réprima un juron de mécontentement : il ne pouvait et surtout ne devait rien faire.

La Celica s’engagea dans l’allée de la propriété et disparut. Quelques instants plus tard une BMW émergeait du parc et s’arrêtait devant les grilles déjà refermées. Steve crut reconnaître le passager quand la voiture passa sur la route devant lui, mais il ne put se souvenir de son identité. Il attendit encore vingt minutes avant de se résoudre à contacter Sexton. L’ex-policier saurait quelle attitude adopter.

Il trouva une cabine téléphonique quelques kilomètres plus loin sur la route et eut la chance de joindre Sexton à l’agence. Steve retourna à son poste de surveillance avec un moral reconsolidé. Son collègue l’avait félicité et lui avait affirmé qu’il arriverait bientôt. Et, en effet, moins d’une heure plus tard, sa Cortina passa à vitesse réduite devant lui, mais Steve attendit d’être sûr qu’il s’agissait bien de Sexton pour aller se poster plus loin sur le bord de la route et guetter son retour. L’ex-policier ne tarda pas à réapparaître et la Cortina rejoignit bientôt la Mini dans le sous-bois. Les deux hommes revinrent au poste d’observation de Steve.

— Qu’allons-nous faire, Mr. Blake ? demanda ce dernier. Nous essayons d’entrer ?

Sexton frissonna dans le froid du crépuscule. Il avait envie d’agir, mais son expérience lui conseillait de rester prudent.

— Non, mon garçon. Nous allons attendre encore un peu.

Steve avait passé la moitié de la journée à surveiller les grilles de la propriété, et il avait du mal à réfréner son impatience. Il souffla dans ses mains pour se réchauffer.

— Vous croyez que Mr. Steadman est en danger ? Il se trouvait peut-être dans une de ces voitures qui sont parties...

— Sais pas, Steve. A mon avis, il se prépare quelque chose qui ne me dit rien de bon... Je regrette que Harry ne m’ait pas mis dans la confidence...

 

Rien de bon, quel euphémisme, se dit-il avec amertume en repensant au supplice atroce de Mrs. Wyeth. Ce Gant avait-il un lien quelconque avec cette horreur ? L’ex-policier avait passé une bonne partie de la journée à interroger les quelques vieux amis qu’il avait encore dans les Services spéciaux, mais ils n’avaient pas pu le renseigner beaucoup. Gant était un personnage très mystérieux. Durant des années, il avait discrètement fourni bien des gouvernements en armes et, tout d’un coup, il se mettait en lumière et devenait un des vendeurs les plus importants du pays. Ses rapports avec les Arabes avaient éveillé de sérieux soupçons, mais l’enquête des Services s’était heurtée au veto de personnages très haut placés qui le couvraient. Le peu de détails récoltés auprès de ses amis ne permettait pas de percer l’énigme représentée par le marchand d’armes, et Sexton n’aimait guère cela.

— Ça fait longtemps que Mr. Steadman est dans la propriété, lâcha Steve.

L’ex-policier réfléchit un moment, puis il poussa un soupir.

— C’est vrai. Attendons encore une heure. S’il ne se passe rien, nous irons le chercher.

 

— Avez-vous déjà entendu parler de la Thule Gesellschaft, Mr. Steadman ?

Gant s’était planté devant le détective, les mains glissées dans les poches de son veston, le corps raide. Son sourire n’était plus moqueur mais arrogant.

Steadman essaya de s’éclaircir les idées. Il n’était pas ligoté mais le canon du .38 pressé contre sa nuque le rivait à sa chaise plus sûrement que n’importe quelle corde. A côté de lui, Goldblatt dardait un regard haineux sur le marchand d’armes. Hannah était toujours inconsciente. L’agent du Mossad avait repris connaissance quelques minutes plus tôt et il avait poussé un grognement de désespoir en voyant Steadman. Il avait voulu lui parler mais Kôhner lui avait intimé le silence d’une gifle sèche.

Le feu dans la cheminée projetait des ombres sinistres sur les murs et le plafond. La pièce était vide de tout mobilier à l’exception d’une longue table dans un coin et des trois chaises où le détective et les deux agents israéliens étaient assis. Gant, Brannigan et Kôhner les surveillaient. Leur seule attitude était déjà une menace.

— La Thule Gesellschaft, Mr. Steadman. La Société de Thulé. Vous avez certainement appris quelques petites choses sur elle pendant vos années aux Services de renseignements de l’armée et avec les Israéliens, n’est-ce pas ?

Steadman dut faire un effort pour chasser la peur qui engourdissait son esprit. Un froid anormal régnait dans la pièce, malgré les grosses bûches qui flambaient dans la cheminée, et il devait se contrôler pour ne pas trembler. Il se rappelait vaguement des mentions de la Société de Thulé dans les cours qu’il avait suivis pour préparer son entrée dans les Services secrets. C’était une sorte de société occulte devenue active juste avant la Seconde Guerre mondiale mais qui, depuis, avait disparu.

— Ah, je vois à votre expression que vous avez entendu parler de nous, reprit Gant avec une certaine satisfaction. Mais notre rôle dans l’avènement de la dernière guerre ne vous a visiblement pas été expliqué. (Il se tourna vers ses deux acolytes.) Il semble que notre chevalier a besoin d’être éduqué s’il veut connaître son adversaire.

Debout auprès des deux agents israéliens, Kôhner eut un gloussement méprisant.

— Je crois que notre chevalier va bientôt faire dans son pantalon.

Gant éclata de rire, mais la bassesse de l’ironie de Kôhner aida Steadman à se reprendre. Sa peur fut balayée par la colère, or c’était là une émotion que le détective avait depuis longtemps appris à canaliser comme une force. Et sa curiosité était éveillée. Pourquoi le qualifier de chevalier ? Quel rôle lui destinaient-ils dans cette mise en scène aberrante ?

Je suis certain que vous avez lu et peut-être même étudié la théorie selon laquelle Adolf Hitler, pendant son ascension vers le pouvoir, s’adonnait à la magie noire, aux rites sataniques et à ce genre de choses. Je me trompe, Mr. Steadman ? Gant haussa légèrement les sourcils en attente d’une réponse. A la lueur des flammes, son visage sans nez était encore plus répugnant.

— Oui, j’ai entendu ces théories, répondit Steadman. Mais rien n’a jamais été formellement prouvé.

— Rien n’a été prouvé ? Ah ! L’incrédulité imbécile des gens quant à ces choses est vraiment sans limite ! Gardons ces choses cachées, ne les étudions pas de trop près, nous pourrions découvrir qu’elles sont réelles. Et que se passerait-il alors ? Peut-être serions-nous tentés de goûter à ce savoir, peut-être nous plairait-il... (Sa voix était lourde de sarcasme.) Ce qui pourrait signifier le rejet de tout ce que nous avons conquis depuis l’âge des ténèbres. Mais qu’avons-nous gagné ? La pauvreté, la famine, les guerres continuelles ! Qu’est-il advenu de notre quête spirituelle ? Nous croyons que l’Humanité progresse avec l’aide de la science, qu’elle s’éloigne de sa condition primitive. Or c’est exactement l’inverse qui se produit, Mr. Steadman. Nous nous éloignons toujours plus de nos origines spirituelles ! Ce fut notre grand péché, notre Péché originel ! La bestialité de l’Humanité ! Son désir pour le matériel. Et, pour l’Humanité, le grand crime de Hitler a été d’essayer de briser cette évolution afin de revenir au spirituel. C’est pour cette unique raison qu’il a été rejeté, qu’il devait mourir. Ils ont tué votre Christ pour cette même raison !

Steadman frissonna en lisant l’éclat de la folie dans les yeux de Gant. Il l’avait vu dans le regard de tous les fanatiques du monde entier, ce même refus de raisonner, cette même passion pour une croyance fondée sur une logique pervertie. Et il ne savait que trop l’effet hypnotique qu’avait ce genre de démence sur les faibles, sur ceux qui cherchaient un maître à suivre pour oublier leur médiocrité, pour donner un sens à leur existence. Brannigan et Kôhner offraient le même spectacle, leurs prunelles illuminées par de simples paroles. Celles de Goldblatt brûlaient de dégoût.

— Hitler a voulu purifier notre race des bâtards qui l’avaient infiltrée, l’abaissant à leur niveau, loin de son héritage germanique. Son échec a fait reculer l’évolution humaine naturelle. On peut même parler d’inversion car nous Thulistes pensons que nous devons retourner à nos origines et non nous en écarter. Les plans d’Hitler pour la Race des Seigneurs étaient tirés du völkish occultism, et c’est de cette façon que nous l’avons aidé et guidé, car nous sommes à la racine du national-socialisme ! Même dans les premiers temps, notre emblème était un svastika avec une épée courbe et une couronne. Et c’est un Thuliste qui dessina le drapeau nazi pour Hitler ! Un svastika noir dans un rond blanc sur fond rouge, le symbole de l’idéologie du mouvement : le blanc figure le nationalisme, le rouge son idéal social, et le svastika son combat pour la victoire de l’homme aryen...

Gant se détourna du groupe et marcha lentement jusqu’à la cheminée. Il parut méditer un moment en regardant les flammes avant de faire volte-face vers eux.

— Connaissez-vous la signification du svastika, Mr. Steadman ?

Avec le feu derrière lui, la silhouette de Gant paraissait entourée d’un halo de sang des plus macabres.

— C’est le symbole du feu, de la lumière, de la vie elle-même, enchaîna-t-il. Et pendant des milliers d’années, beaucoup de peuples l’ont vue ainsi. Les bouddhistes croient que c’est une accumulation de signes de chance qui possède dix mille vertus. Pour les Thulistes  – et pour Hitler  – c’était le lien symbolique avec notre préhistoire ésotérique, quand nous n’étions pas encore ce que nous sommes, mais de simples ébauches énergétiques sur l’île disparue de Thulé. Des ombres éthériques, Mr. Steadman. Vous diriez peut-être des fantômes...

Un frisson parcourut de nouveau le détective. La température de la pièce avait baissé, c’était incontestable, et l’air semblait se charger d’une sorte d’électricité négative. La silhouette de Gant lui parut plus sombre.

— Rituels, signes, symboles... Pour les occultistes, ce sont là les moyens d’invoquer les Puissances, tout comme l’eucharistie ou la messe dans une église. Ces puissances peuvent servir le Bien ou le Mal selon celui qui les commande. Voyez comment l’Église catholique a abusé de son pouvoir durant ces derniers siècles, et les crimes qu’elle a perpétrés au nom de Dieu. Mais il existe une voie directe pour maîtriser le Mal, et Hitler était assez avancé spirituellement pour savoir que le Bien des chrétiens est en fait le Mal, et ce qu’ils appellent le Mal le véritable Bien. C’est en lisant Nietzsche, l’homme qui avait proclamé la mort de Dieu, qu’il en avait été convaincu. Hitler voulait utiliser ces puissances maléfiques et pour cela il employa le savoir que lui avaient enseigné certains hommes de grande valeur : Dietrich Eckart, sataniste et propagandiste de Thulé ; Karl Haushofer, l’astrologue qui plus tard devait persuader Hess de fuir en Grande-Bretagne ; Heilscher, le professeur spirituel de nombre de dignitaires nazis... Même Wagner joua un rôle dans l’élévation spirituelle de Hitler, Mr. Steadman. Et des hommes comme l’Anglais Houston Stewart Chamberlain dont le livre La Genèse du dix-neuvième siècle, écrit alors qu’il était possédé de démons, fut l’inspiration du Troisième Reich... Et Friedrich Nietzsche, qui annonça l’avènement de l’Ubermensch, le Surhomme, l’Élite de la Race. Tous participèrent d’une façon ou d’une autre à l’élaboration de l’idéologie hitlérienne. Mais ce furent les magiciens qui l’initièrent aux pratiques dont il usa pour atteindre le pouvoir suprême.

« Et l’une de ces pratiques était l’inversion des symboles magiques, comme la messe noire n’est que l’inversion de la sainte messe, ce qui permet l’évocation des puissances des ténèbres. La cérémonie est dirigée par un prêtre défroqué, on festoie au lieu de jeûner avant l’office, la luxure remplace la chasteté, l’autel est le corps nu d’une femme, une prostituée de préférence. Le crucifix est retourné et brisé, et l’hostie est remplacée par un navet noir consacré dans le vagin d’une prostituée... De même les symboles furent inversés. Le svastika est un symbole solaire qui tourne dans le sens des aiguilles d’une montre pour capter les Puissances de Lumière, comme l’indiquent les queues de chaque bras. Hitler ordonna donc que son svastika tourne dans le sens contraire afin d’attirer les Puissances des Ténèbres ! Et le monde entier a pu constater son ascension météorique !

Gant parlait toujours d’une voix basse, mais ses paroles étaient sifflées et semblaient fuser dans toute la pièce. Brannigan et Kôhner étaient comme hypnotisés et Steadman songea à saisir l’occasion pour agir. Mais la pression du .38 n’avait pas faibli sur sa nuque. Il jeta un coup d’œil à Goldblatt. L’agent du Mossad paraissait désespéré.

— Mais Hitler a chassé toutes les sociétés occultes du parti nazi, non ? lança-t-il au marchand d’armes. Il vous a rejetés !

Toutes les têtes se tournèrent vers le détective, comme s’il les avait tirés d’un rêve. Un rire gras échappa à Gant et il s’approcha avec une lenteur calculée de son prisonnier. Soudain une de ses mains jaillit et il saisit la chevelure de Steadman, rejetant sa tête en arrière. Il se courba jusqu’à n’avoir plus le visage qu’à quelques centimètres de lui.

— Il ne nous a pas rejetés, Mr. Steadman, grinça Gant. C’est nous qui avons fini par le rejeter.

Il tira la tête de Steadman en avant et le gifla. Le détective voulut bondir de sa chaise mais le bras de Brannigan l’étrangla et le canon du .38 pressa un peu plus sa nuque.

— Je ne tenterais rien, à votre place, lui murmura le major. Restez tranquille, compris ?

Steadman se détendit un peu, et Brannigan cessa de l’étrangler. Gant sourit et retourna devant le feu.

— Alors que les idéaux de Hitler étaient encore mal formés – ou peut-être devrais-je dire « mal canalisés. »

La Société de Thulé et l’Ordre germanique du Saint Graal pratiquaient déjà la franc-maçonnerie nordique pour combattre la franc-maçonnerie juive orthodoxe qui gangrenait l’économie allemande après la Première Guerre mondiale. Nous étions fermement opposés au gouvernement républicain de Berlin à cette époque, à cause de ses alliances dégradantes avec la fange juive, slave et marxiste. Peu à peu ces sous-hommes prenaient le contrôle du pays et de son économie. Ils pressuraient la patrie avec leurs exigences et leur cupidité, jusqu’à créer une situation à laquelle ressemble beaucoup celle de la Grande-Bretagne actuelle. Vous êtes bien d’accord quant à cette ressemblance, n’est-ce pas Mr. Steadman ?

Gant attendait une réponse mais n’en reçut pas.

— Vous êtes d’accord, n’est-ce pas ? hurla-t-il soudain, les yeux exorbités par la rage.

— La comparaison me semble un peu outrée, rétorqua Steadman d’un ton neutre.

— Vous trouvez ? (Sa voix avait repris son habituel ton de sarcasme dédaigneux.) Vous croyez que c’est encore le gouvernement élu qui dirige ce pays ? Vous croyez que le sort des entreprises dépend toujours de leur patron ? Que ce pays appartient encore à la pure race anglo-saxonne ? Regardez autour de vous, Mr. Steadman, et ouvrez les yeux ! Non seulement ici, dans ce pays, mais partout dans le monde, le même phénomène se produit, comme il s’est produit en Allemagne à l’époque : c’est le retour des races inférieures ! Les États africains, les Arabes, voyez à quelle vitesse ils grandissent ! Et l’Amérique du Sud, la Chine, le Japon... La Russie ! Et, bien sûr, Israël...

« La comparaison est un peu outrée, dites-vous ? Je vous l’assure, le péril n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui !

Steadman savait qu’il était inutile de discuter. Des fanatiques tels que Gant étaient trop obsédés par leur croyance pour écouter tout raisonnement autre que le leur.

— Le peuple aryen avait besoin d’un chef charismatique, tout comme maintenant. Hitler l’avait compris et savait qu’il était celui qui pourrait les aider. Nous avions déjà créé le climat de résistance à l’infiltration judéo-bolchévique. Nous, les Thulistes et les membres de l’Ordre germanique du Saint Graal avions déjà formé un nouveau mouvement : le Deutsche Arbeiterpartei qui devait être connu plus tard sous l’appellation parti national-socialiste des travailleurs allemands. Le parti nazi.

Gant marqua une pause pour appuyer son effet, et Steadman se demanda un instant si les autres n’allaient pas se mettre à applaudir. Ils n’en firent rien, mais les yeux de Kristina et de Kôhner brillaient de plaisir. Le vieux Dr Scheuer restait d’une immobilité de statue, son regard caché par l’ombre.

— Hitler était encore dans l’armée, reprit Gant, quand il fut choisi par un de ses supérieurs pour suivre un cours d’instruction politique, et l’une de ses obligations était d’assister à des réunions comme celles que nous donnions. Il ne fallut pas longtemps avant qu’il nous rejoigne, et c’est par notre intermédiaire que des hommes comme Eckart et Guthbertlet l’initièrent à la mystique teutonique. C’est grâce à nous qu’il découvrit la voie de son destin, Mr. Steadman !

« Après des années de lutte et beaucoup de sang versé nous avons vaincu l’ennemi intérieur qui sévissait dans notre pays. En 1933 Hitler devint chancelier d’Allemagne. Ce fut un grand jour pour la Société de Thulé ! Et une date tragique pour Hitler, car dès ce jour il se retourna contre nous. Il s’évertua à purger l’Allemagne de toutes les sociétés secrètes, et en apparence nous souffrîmes autant que les autres. Aux yeux du monde Hitler semblait avoir rejeté tout ce qui touchait à l’occulte. En fait il venait de découvrir une nouvelle source de pouvoir. Un symbole, une arme que les glorieux conquérants du passé avaient cachée ! Et il avait décidé de se l’approprier.

La lance
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